Bonjour à toutes et tous, Je suis ravie de vous accueillir
pour ce tout premier épisode de « Conversation avec la nature »
et pour débuter cette série d'épisodes sur
le Conservatoire d'espaces naturels Centre-Val de Loire,
on va parler de suivi
scientifique, d'inventaire faunistique et floristique.
C'est le travail de connaissance.
Connaissance qui constitue la première mission du Conservatoire
et la base de tout le travail qui va suivre.
Et pour parler de ce sujet, qui de mieux
que notre responsable scientifique et technique, Serge ?
- Bonjour Serge. - Bonjour Isabelle.
Merci de nous rejoindre.
Alors Serge, tu es
on peut dire un ancien
du Conservatoire puisque ça fait 25 ans que tu es au Conservatoire
en tant que responsable scientifique et technique et donc c'est toi qui
mène un petit peu le travail de terrain, le travail de suivi.
Alors est ce que tu peux nous dire
comment on identifie un site à enjeux ?
Alors, un site à forts enjeux de biodiversité, ça s'identifie
à travers différents
programmes d'inventaires qui existent comme l'inventaire des ZNIEFF.
Un bon jargon pour dire zones naturelles
d'intérêt écologique pour la faune et la flore.
Il y a aussi les inventaires du patrimoine géologique.
Et puis aussi il y a la connaissance des experts,
des gens qui nous permettent de détecter des sites à forts enjeux.
Et puis après il suffit d'aller sur un site, et d’être...
Pas de tomber amoureux, mais au moins de voir un paysage
très particulier qui parle à soi même et qui permet après d'aller
mettre en place des inventaires et voir s'il
y a des choses très intéressantes sur ce type d'espaces naturels.
Donc tu passes le plus clair de ton temps sur les sites naturels en fait.
Malheureusement non.
J'aimerais beaucoup, mais c'est vrai,
je passe beaucoup de temps à découvrir la flore,
à travailler sur les papillons, beaucoup sur les orthoptères,
donc les criquets et sauterelles, les chauves-souris
et plein d'autres domaines ou d'aller compter les arbres ou les mesurer.
C'est très marrant comme jeu.
Vous allez peut être entendre
plusieurs gros mots du jargon scientifique,
mais on te demandera des précisions si jamais
on ne comprend pas trop de quoi il s'agit.
Alors quand on arrive sur un site,
quelle est la première chose qu'on fait ?
Par quoi on commence ?
Eh bien, on commence par faire ce qu'on
appelle un diagnostic écologique,
c'est-à-dire qu'on va réaliser la carte des habitats présents,
les milieux, donc la forêt, les buissons, les prairies
et sur lesquels après on met en place
des inventaires sur la flore principalement, parce que la flore
indique un état de conservation du site ou d'un milieu.
Et puis également la faune, les oiseaux, les mammifères
et à partir de là, on dresse des listes d'espèces
et on va chercher les espèces qu’on dit
menacées qui sont soit protégées, soit présentes sur des listes rouges.
Et à partir de là, on est capable de mesurer à la fois
l'état de conservation du site avec tous ces éléments là,
et aussi toutes les espèces menacées.
Et de ça, on essaie
de mettre en place ce qu'on appelle des objectifs de conservation
pour pouvoir préserver les espèces rares, les milieux rares et menacés.
Et ces objectifs de conservation sont contenus dans un document
qui s'appelle le plan de gestion qu'on a pour chaque site.
Et donc c'est vraiment...
Il est vraiment primordial, avant de construire
ce plan de gestion, de bien connaître le milieu.
Oui, c'est essentiel.
En fait, c'est ce que j'appelle la pierre angulaire.
On ne peut pas...
Si on ne connaît pas, on ne peut pas bien agir,
on ne peut pas faire connaître à travers la valorisation
et on ne peut pas partager justement les richesses de notre territoire.
Un plan de gestion, c'est un peu comme
une feuille de route finalement, si je comprends bien.
Mais concrètement, ça veut dire quoi ?
Comment ça se présente ?
Un plan de gestion, c'est déjà un document
papier avec plein de pages, ça c'est vrai.
Les plans de gestion sont des documents officiels
qui sont rédigés par les chargés d'études,
avec l'appui des collègues chargés de gestion,
gardes-animateurs ou animateurs ou animatrices nature.
Et c'est des choses qui sont concertées avec les acteurs locaux
pour les sites, qui sont notamment ouverts
au public, où on a beaucoup d'usagers et appuyées également
par des experts scientifiques qui participent à la réflexion.
Et tout ça est validé à la fois par notre Conseil Scientifique
et par notre Conseil d'Administration
pour que les choses soient officielles
et que ce ne soit pas un simple document.
Donc c'est vraiment
un document de fond stratégique qui est validé par nos instances.
Et c'est la base de travail
ensuite, pour les chargés de gestion, les animateurs...
Pour tout le monde, sur tout le travail de notre site, c'est les plans de gestion
qui ne sont pas un dogme parce qu'on peut toujours
revoir les choses mais qui donnent vraiment la feuille de route.
Comme tu l'as très bien dit Isabelle, et dedans on retrouve effectivement
la liste des espèces rares ou les habitats menacés
et sur lesquels on détermine des priorités et des enjeux
afin de déterminer des objectifs de conservation.
Par exemple, si on a un milieu ouvert à fort enjeu, comme une prairie
riche en orchidées, on va faire en sorte de maintenir
ce milieu là par des pratiques de fauche ou de pâturage.
Si on a une forêt,
par exemple au Conservatoire, on a plutôt tendance
à mettre en place de la libre évolution.
Si on a une forêt qui est riche et diversifiée et surtout mature,
et ce qui permettra après effectivement
de mettre en place ce qu'on appelle des actions
de libre-évolution, on laisse librement évoluer la forêt
pour des siècles et des siècles.
Le plan de gestion de la finalité c'est de faire
un programme d'actions, que ce soit pour agir,
protéger, gérer et puis aussi faire connaître.
Et c'est vrai que typiquement,
sur nos Réserves naturelles régionales notamment
de la Vallée des Cailles où on a des pelouses
calcicoles, l'objectif c'est de maintenir
les pelouses calcicoles en état
pour pouvoir maintenir le cortège de plantes,
de papillons mais aussi de mollusques présents
sur ce site qui sont avec des forts enjeux.
Et j'imagine qu'au fil des années, tu as dû voir des évolutions sur
les sites.
Et du coup,
est ce que les enjeux de conservation évoluent aussi ?
Alors avec le temps, on s'aperçoit ce qu'on a fait il y a dix,
quinze ans.
Les enjeux restent les mêmes.
C'est juste que notre contexte climatique change.
On a pris déjà un degré et demi de température en supplément
depuis 1950 et on va prendre encore un degré et demi d'ici 2050.
Ce qui pose des vraies questions sur la prise
en compte du réchauffement climatique dans notre gestion.
Et au final, on ne va pas faire, on ne va pas chambouler
complètement les choses parce qu'on faisait beaucoup de gestion,
ce qu'on appelle en mosaïque c’est-à-dire qu’on maintenait des milieux ouverts,
des milieux fermés, des zones en libre évolution, des zones entretenues...
Et l'idée ça va être de conserver cette méthode là,
mais de faire un peu plus attention aux îlots de fraîcheur.
C’est vrai qu'on parle beaucoup
des îlots de fraîcheur en ville parce que c'est un vrai besoin.
Mais dans les espaces naturels,
il faut aussi conserver des îlots de fraîcheur
pour la faune, notamment avec des buissons, des arbres isolés,
des forêts qui permettent
à la faune de pouvoir se réfugier au moment des pics de canicules.
Et c'est vrai que peut être que le paysage d'aujourd'hui de nos sites
va être peut-être un peu plus arboré ou un peu plus buissonnant
pour justement maintenir cette variété et permettre
finalement à tout le cortège de faune de se maintenir sur nos sites.
Parce que c'est vrai qu'aujourd'hui le cortège d'espèces méditerranéennes
qui se maintiennent sur nos sites va être plutôt favorisé.
Par contre,
les espèces de milieux froids sous nos tourbières risquent
de souffrir de ces nouvelles conditions, même si
nos sites, même en plein mois d'août où on a encore des gelées matinales
sur des tourbières.
Et donc des actions qui étaient mises en place
il y a plusieurs années sont
plus forcément pertinentes aujourd'hui.
Oui, c'est vrai, il y a des actions par exemple de réouverture
de déboisement qu'on
a pu conduire, qu'on ne refera plus aujourd'hui
parce que le réchauffement climatique
et la forte chaleur qui peuvent régner
va créer des dépérissement forestiers.
Et il y a des milieux qui vont se rouvrir tout seuls.
Et donc on va juste accompagner les sites.
Et c'est vrai qu'il faut, avec nos outils de suivi scientifique
comme les indicateurs LigérO, comme le suivi des cortèges d'espèces
avec le suivi STERF sur les papillons,
comme le suivi d'espèces qu'on appelle rares et menacées,
comme le pelobate brun sur les mares ou certaines
plantes très rares qu'on suit.
L'idée, c'est
de pouvoir suivre les évolutions et de pouvoir s'adapter en fonction
des conditions climatiques et du nouveau régime climatique
auquel nous subissons.
Typiquement, l'idée, ce n'est pas de prédire
ce qui va se passer sur nos sites parce qu'on n'est pas capable.
Même les plus beaux modèles mathématiques se trompent.
L'idée, c'est de se préparer à ce qui va arriver
pour que nos sites puissent s'adapter.
Ce qui est sûr,
c'est que si on a des
sites les plus diversifiés, les plus riches possibles,
on aura des sites qui seront résistants
et résilients face au changement climatique, ça, c'est une certitude.
Donc l'idée, c'est de garder cet espoir
en se disant que la biodiversité va se porter mieux à partir du moment
où on va compter sur elle et sur le vivant.
Finalement, le travail scientifique,
ce n'est pas uniquement les plans de gestion,
mais c'est aussi tout un travail d'appui technique
aux partenaires, à d'autres interlocuteurs.
Ton équipe est composé de différentes cellules d'appui technique.
Est ce que tu peux nous en parler ?
En quoi ça consiste et c'est quoi une cellule d'appui technique ?
Alors,
une cellule d'appui technique ou un groupe de travail,
que ce soit pour les zones humides ou pour les espèces
exotiques envahissantes,
l’idée, c'est d'appuyer ou de conseiller
les acteurs du territoire, que ce soit des collectivités
ou des gestionnaires,
dans la prise en compte des différentes problématiques.
Alors sur les zones humides,
l'idée, c'est d'aider les collectivités
à prendre en compte les zones humides.
Et pour cela, avec Brigitte Ruaux, on va voir les collectivités
pour qu'ils mettent en place des inventaires des zones humides
ou qu'on les aide en termes d'appui sur le foncier, c'est-à-dire
ce qu'ils peuvent porter,
ou acheter du foncier, ou est ce que c’est
les Conservatoires qui peuvent le faire.
Et puis également on les conseille
sur les travaux de restauration, et puis pour évaluer leurs travaux,
c'est de mettre en place ce qu'on appelle
des indicateurs LigérO : des indicateurs de suivi
pour mesurer l'efficacité des travaux sur leur site.
Donc, c'est
tout ce travail là qui est fait au quotidien sur les zones humides
et sur le volet des espèces exotiques envahissantes.
Les collègues Noémie et Colleen travaillent à la fois sur la faune
et la flore et elles vont conseiller notamment
les acteurs au sens large,
à la fois pour mettre en place de la gestion
qui permet de réduire la pression sur la biodiversité
et c'est de limiter la propagation des espèces exotiques envahissantes
et également de pouvoir communiquer autour de ce sujet là,
qui est un sujet bien complexe parce que, notamment sur les animaux,
on a aussi un peu plus d'attachement pour les animaux.
Il faut aussi prendre en compte l'avis du grand public
sur des problématiques comme la Perruche à collier
qui est un oiseau magnifique mais qui est exotique chez nous.
Ouais, j'allais demander des exemples de faune
ou de flore envahissantes qui sont un petit peu
sexy on va dire chez nous, mais qui finalement ne sont pas
très bonnes pour le milieu.
C'est vrai que chez nous, entre
les renouées du Japon, de Sakhaline ou de Bohême ou les Jussies...
C'est vrai que notamment la Jussie c’est une très belle plante.
Et quand on manque de fleurs,
les abeilles sont bien contentes. Mais c'est vrai que sur nos zones
humides et nos annexes hydrauliques, c'est un vrai problème.
Et je pense que tout le monde a eu des tortues de Floride ou des tortues
à tempes rouges ou jaunes.
Alors quand on voit que ça a un impact, notamment
dans les zones où la Cistude est présente en terme de compétition.
Donc c'est vrai que pour nous,
ces espèces exotiques qui peuvent être proliférantes
et qui peuvent effectivement à la fois
limiter les usages, notamment la navigation
ou avoir un impact sur la biodiversité et faire réduire
notre biodiversité locale. En fonction des sources,
c'est soit la troisième,
soit la cinquième cause de perte de biodiversité sur la planète.
Donc c'est vraiment un enjeu important de prendre en compte
ces espèces exotiques envahissantes.
Et d'où l'importance de
de proposer des formations ou des conseils en fait
pour différents interlocuteurs pour savoir les gérer.
C'est vrai
notamment sur le groupe de travail espèces exotiques envahissantes,
Noémie et Colleen produisent beaucoup de formations auprès des collectivités,
des acteurs d'établissements publics comme l'Office national des forêts
pour pouvoir leur montrer les itinéraires techniques,
pour pouvoir prendre en compte ces espèces-là,
pour éviter de les diffuser, ce qui est déjà la première chose.
Et puis après d'essayer de limiter leur surface, leur nombre
et ainsi améliorer l'état de conservation, notamment
des forêts, avec la problématique de Cerisier tardif.
Et c'est vraiment important parce que
ça a des fois en gros impact sur la production.
Un impact économique, les espèces exotiques envahissantes,
c'est vraiment un sujet très important pour le quotidien.
Et je reviens sur la cellule d'appui technique aux zones humides.
Les zones humides,
c'est un enjeu prioritaire pour le Conservatoire ?
Oui, c'est un enjeu prioritaire parce que
ça fait partie des milieux qui nous permettent de nous adapter
au réchauffement climatique.
Les zones humides ont une capacité de filtration des eaux, de stockage
de l'eau, d'épandage de l'eau au moment des crues,
qui sont un rôle essentiel.
Et c'est vrai que dans les zones humides,
on serait incapable de faire aussi bien qu'elles
et ça permet aussi de recharger les nappes, notamment pour l'eau potable.
Donc c'est vraiment une chose essentielle
dans tous nos bassins versants d'avoir ces zones humides.
On voit très bien que les bassins versants qui ont des zones humides
qui soit ont disparu, soit très dégradées,
ont des qualités d'eau qui est très mauvaise.
Et donc on voit très bien que pour avoir des bassins versants riches
et diversifiés, il faut un réseau de zones humides en bon état
et qui sont gérées, en tout cas entretenues ou préservées, de manière
que ce soit par les collectivités ou par les Conservatoires.
Histoire vraiment de pouvoir avoir des territoires
pleinement adaptés aux conditions nouvelles de température.
Et alors, Serge, pour conclure, est ce que tu pourrais nous partager
une découverte ou une redécouverte ou un succès
de ta carrière de responsable scientifique et technique ?
Ben oui, j'en ai un en tête qui est une espèce emblématique
de notre région qui est le Rhinolophe euryale,
qui est une espèce de chauve-souris qui est méditerranéenne
et qui remonte jusque dans la Sarthe.
Donc on est vraiment en limite d’aire.
Et si c’est mon animal totem à moi, c'est
qu'en 2003-2004, j'avais été sur la Réserve naturelle régionale
du Bois des Roches dans l'Indre et dans une des grottes,
j'étais tombé sur 300 à 350 bêtes qui étaient beaucoup à l'époque.
Et aujourd'hui on conduit des suivis
depuis 2004-2005 de manière très régulière
et aujourd'hui on a des effectifs qui sont autour de 1800 individus.
Que ce soit en reproduction, en hivernage ou à l'automne.
Ce qui fait qu'on a multiplié par six les effectifs de cette population.
Alors, on peut se dire qu'on y est pour quelque chose,
mais au final, c'est que les chauves-souris ont trouvé
un bon endroit pour manger, pour dormir
et qu'on leur a donné des conditions suffisamment satisfaisantes
dans trois des grottes de la réserve pour qu'elles
s'épandent au-delà de la réserve.
Parce qu'aujourd'hui,
on a des populations qui arrivent à Argenton sur Creuse, dans le sud de l’Indre,
probablement, qui vont
aussi vers l'Indre-et-Loire, mais ça, on ne peut pas le savoir,
puisque toutes nos chauves-souris ne sont pas marquées.
Ce qui est sûr, c'est qu'en six ans,
j'ai dû voir toutes les générations sans le savoir.
Parce qu’un Rhinolophe euryale
vit à peu près une dizaine d'années.
Donc comme ça fait 20 ans
que je les suis, j'ai probablement vu toutes les générations depuis
depuis 20 ans.
Et donc aujourd'hui,
je dois être sur des arrière arrière petite fille ou petit fils de
chauve-souris que j'ai vu à l'époque, que j'ai surpris à la lampe torche
de manière malhabile en octobre 2003.
Ils doivent te connaître depuis le temps.
J'en suis persuadé,
qu'elles me connaissent, parce qu'on dit toujours
que les chauves-souris,
on les entend pas, ce qui est faux
parce qu'elles émettent des cris sociaux.
Et moi
je pense qu’elles émettent des cris sociaux, non pas pour se parler entre elles
parce qu'elles émettent des ultrasons.
Je n'ai pas de traducteur de chauve-souris, mais c'est probablement
que les cris sociaux sont aussi en partie destiné à nous.
Voilà, c'est un mystère.
Je pense qu'il y aurait beaucoup, beaucoup de choses
à dire sur ce sujet-là,
tout comme sur les zones humides, les espèces exotiques envahissantes.
Mais bon, on essaiera de faire des épisodes spécifiques là-dessus.
Mais pour l'instant, merci beaucoup Serge
d'avoir été là pour nous parler de tout ça et avec passion,
on le sent.
C'est vraiment un
sujet qui est hyper hyper vaste et comme vous
l'avez vu, donc c'est un peu la base aussi du travail du Conservatoire.
Et donc on verra dans les prochains épisodes
que, à partir de là, se construit tout
un programme et notamment un programme de protection
via l'animation foncière notamment, mais pas que.
D'ici là, merci à tous de nous avoir écouté.
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